Alphonse de LAMARTINE – Superbe lettre autographe signée – Ses Œuvres & Travail de l’écrivain
Alphonse de Lamartine (1790-1869), poète, romancier, dramaturge et personnalité politique qui participa à la révolution de 1848 et proclama la Deuxième République. Une des grandes figures du romantisme et immense écrivain.
Lettre autographe signée « Alph », 21 janvier 1849, à son « cher ange » [sa nièce Valentine de CESSIAT (1)], 4 pages in-8 (petite tache d’encre à la dernière page). Très belle lettre à sa nièce chérie, sur son travail d’écrivain et ses œuvres (Raphaël, les Confidences…). Lettre publiée dans « Correspondance de Lamartine » (lettres de 1849).
« […] Tu m’accuses bien sûr et cependant je suis bien innocent. Je n’ai une minute ni nuit, ni jour. J’ai été malade de rhumatisme. J’ai 26 volumes en métier (2), la Chambre, le Conseil d’État (3), 100 lettres par jour, les yeux usés, la main lasse, mais le cœur pour vous plein, jeune, vieux, tendre, ardent, compatissant, aimant, voyant, regrettant, espérant, admirant, bénissant, chérissant, invoquant comme quand j’étais Raphaël et mille millions de fois plus encore. Oui, l’âme est immatérielle et infinie comme Dieu lui-même. Je le sens avec évidence quand je pense à vous. Je suis […] votre passé et cependant aussi votre présent, votre présent et cependant aussi votre avenir.
Je vous vois naître, grandir, embellir, fleurir, fructifier, et cependant je vous vois aussi après moi vivre, charmer, aimer, vous souvenir, vieillir et venir me rejoindre dans le séjour de l’éternelle jeunesse, et cependant je suis un oncle vieillissant, se sentant vieillir, faner, affaiblir ; vous êtes des nièces incomparables en toute espèce de satisfaction physique et morale, cœurs et âmes de prédilection pour la nature et je vous aime comme si je vous avais créées. Je vous ai envoyé Raphaël (4), mauvaise 1ere édition. L’autre qui se fait est parfaite. Paris est dans l’ivresse, on ne rencontre que femmes ayant un Raphaël dans leur manchon ; […] On s’écrie partout universellement que jamais la langue n’a tant brûlé, que c’est écrit avec un charbon sur la peau du cœur. Hélas ! Que diraient ils donc si je l’avais écrit sous l’impression d’autres circonstances ou à d’autres époques de ma vie passée ? Ce n’est à mes yeux qu’un pâle souvenir éteint. Mais je l’ai dit dans la préface : ce qu’il y a de plus divin dans l’âme de l’homme n’en sort jamais ; écrire, c’est profaner.
Les Confidences (5) aussi ont un succès inouï, de haut en bas, du prince au portier, curés, paysans, femmes, collégiens, on en vend quatre-vingt mille exemplaires par jour. […] Tu vas lire Graziella (6) qui est bien grec et napolitain. […] J’en écrirai une autre bien supérieure à la fin de ma vie sensible et encore plus pure et plus diamant que Graziella ! Puis je n’écrirai plus que des cantiques pour Dieu. Mais j’y mettrai toujours les noms que j’ai le plus aimés ! C’est le grain d’encens éternel sur l’autel du cœur […].
En même temps, je poursuis et je prépare ma grande entreprise de mes œuvres choisies par souscription, cela s’annonce bien. Le prodigieux succès d’étonnement universel de tout ce que je publie en ce moment est un gage du succès de l’entreprise. Paris et la France, dans toutes les classes, excepté le juste milieu, me reviennent avec passion. Je suis suivi dans la rue comme un rayon, et non comme un homme. Je me refuse à tout, je reste dans mon isolement modeste et laborieux avec Dieu et votre pensée […].
Notre conversation est dans le ciel (7). […] Amusez-vous, lisez, aimez, excusez le temps, espérez l’avenir, en un mot étudiez vous à être le moins malheureuse possible dans la vie. Et ne vous tourmentez jamais pour moi ; je ne suis pas égoïste, ou plutôt mon moi c’est vous »…
(1) Valentine de CESSIAT (1821-1894). Préférée de son oncle qu’elle aime passionnément. Après la mort de Madame de Lamartine, en 1863, elle ne le quitte plus, lui servant de secrétaire, lectrice, inlassable de dévouement. En 1867, elle aurait épousé son oncle en Suisse. Mariage religieux et secret mais aucune preuve écrite n'a jamais été découverte tant en France qu'en Suisse ou au Vatican. Légataire universelle des biens d’Alphonse de Lamartine, elle se consacre à la gloire du poète.
(2) Lamartine a alors en chantier l’Histoire de la Révolution de 1848, les Nouvelles Confidences, le projet du Conseiller du peuple et la préparation de l’édition de ses œuvres choisies.
(3) L’examen par l’Assemblée de la loi organique sur le Conseil d’Etat.
(4) Raphaël, roman d’amour de Lamartine. Raphaël est le nom que Lamartine donne, un peu plus de trente ans après, à l’amant qu’il a été.
(5) Confidences, Lamartine y relate des confessions de jeunesse. Méditation en prose où l’auteur raconte d'abord son enfance. Le morceau capital du livre est l'épisode de Graziella.
(6) Graziella, roman qui fut le livre le plus lu de son auteur. Lamartine y évoque l’Italie et reprend certains thèmes chers au romantisme.
(7) Paul, Aux Philippiens, 3, 20.
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