Agnès Sorel, née vers
1422, selon le
père Anselme, et morte le 9 février 1450 au
Mesnil-sous-Jumièges, est une demoiselle d'honneur d'
Isabelle Ire de Lorraine, épouse de
René d'Anjou. Elle devient en 1443 la
favorite du roi de France
Charles VII, à qui elle donne trois filles qui seront légitimées comme princesses de France et mariées à des grands seigneurs de la cour. Elle est morte avant l'âge de vingt-huit ans, après avoir donné naissance à une quatrième fille qui n'a pas survécu
Selon les historiens, Agnès Sorel serait née, soit à Coudun, près de Compiègne en Picardie, soit à Fromenteau, paroisse d'Yseures en Touraine2.
Son père, Jean Sorel, ou Soreau, est châtelain et seigneur de Coudun. Il épouse Catherine de Maignelay, fille de Jean Tristan de MaignelayNote 1, châtelain et seigneur de Verneuil-en-BourbonnaisNote 2, et de Marie de JouyNote 3.
Agnès, issue d'une famille noble d'ancienne extraction, a quatre frères : Charles (né avant 1428), écuyer d'hôtel du roi ; Louis, écuyer ; André, chanoine à Paris (1452), et Jean, seigneur de Saint-Gérand. Certains membres de la famille ne sont pas inconnus des historiens : Geoffroy Soreau, son frère ou son cousin, plus probablement son oncle, fut évêque de Nîmes de 1450 à 1453, puis de Châlons de 1453 à 1503, et Jean de Maignelay, capitaine gouverneur de CreilNote 4.
Issue donc de la petite noblesse, c’est en Picardie qu’elle reçut une éducation soignée. On pense qu'elle aurait vécu au château de Maignelay-Montigny et que, selon l'usage qui était d'envoyer les jeunes demoiselles parfaire leur formation dans la haute aristocratie, on la prépara à occuper à la cour la charge enviée de demoiselle de compagnie d'Isabelle, duchesse de Lorraine, reine de Sicile et femme du roi René, beau-frère de Charles VII. Cette charge n'était pas convoitée pour les avantages matériels qu’elle procurait : Agnès Sorel, placée à la cour de Lorraine vers l'âge de quinze ans, ne recevait que dix livres par an, contrairement à d'autres demoiselles de cette cour, telle Catherine de Serocourt, cousine de Jean de Serocourt, capitaine de Tarascon, qui se voyait octroyer la somme de quinze livres tournois3. Elle lui était destinée dès son plus jeune âge du fait de sa naissance et des recommandations dont elle bénéficiait.
Selon les commentateurs, qui s'appuient sur les chroniques de
Monstrelet ou de
Jean Chartier, la rencontre entre la jeune femme et le roi, impressionné par sa beauté, a lieu à
Toulouse le 19 mars
1443, lorsque Charles reçoit en grand cérémonial son beau-frère René et Isabelle de Lorraine dans la suite desquels Agnès paraît pour la première fois, ou bien à
Saumur en septembre 1443
Le roi de France, Charles VII, de vingt ans son aîné, la fait entrer au service de la maison angevine en 1444 pour la rapprocher de lui. Officiellement, elle est demoiselle de la maison de la reine Marie d'Anjou. Minaudant, elle résiste aux avances du roi pour accroître son désir et mieux se l'attacher6.
Après avoir cédé à sa cour empressée, elle passe au rang de première dame officieuse du royaume de France puis gagne rapidement le statut de favorite officielle, ce qui est une nouveauté : les rois de France avaient jusque-là des maîtresses mais elles devaient rester dans l'ombre. Charles VII a d'ailleurs eu d'autres maîtresses, mais elles n'ont pas eu l'importance d'Agnès Sorel.
C'est durant le séjour de Charles VII à Nancy, capitale du Duché de Lorraine, lors de fêtes royales vers la fin de l'année 1444, que le roi joute pour sa belle lors d'un tournoi. Il affiche à cette occasion sa maîtresse officielle qui fait sensation en apparaissant le dernier jour revêtue « d'une armure d'argent incrustée de gemmes »7.
Son art de vivre et ses extravagances rejettent la reine dans l’ombre. Les voiles et autres guimpes sont abandonnés. Elle invente le décolleté épaules nues[Quoi ?], qualifié de « ribaudise et dissolution » par quelques chroniqueurs religieux de l’époque. De vertigineuses pyramides surmontent sa coiffure. Des traînes allant jusqu’à huit mètres de long allongent ses robes bordées de fourrures précieuses : martre ou zibeline. Elle met à la mode chemises en toile fine, colliers de perles. Elle traite sa peau avec des onguents faisant office de peeling, une crèmeNote 5 contre les rides tous les matins et des masques au miel pour la nuit8. Elle se maquille avec un fard à base de farine et d'os de seiche pilés qui lui donne un teint d'albâtre très prisé à l'époque, se met du rouge à lèvres à base de pétales de coquelicots, ce qui est condamné par les prédicateurs du Moyen Âge9. Elle se fait épiler les sourcils et les cheveux sur le haut du front, ce dernier étant devenu le pôle érotique du corps de la femme à cette époque7. Il ne s'agit pas de la « mode florentine » pour se donner un front plus bombé, mais pour équilibrer ses traits car elle a de très grands yeux disproportionnés par rapport à son visage10. Rien qu’en 1444, le roi lui offre vingt mille six cents écus de bijoux dont des diamants taillés dont elle est la première à parer sa coiffure si l'on en croit les chroniqueurs de l'époque11.
Portrait d'Agnès Sorel datant du XVe siècle.
Pour se procurer ces atours précieux, elle devient la meilleure cliente de Jacques Cœur, marchand international et grand argentier du roi, qui a amassé des trésors dans son palais de Bourges. Elle consomme de grandes quantités d'étoffes précieuses et, bien sûr, toutes les femmes de la cour l’imitent.
Agnès Sorel sait jouer de son influence auprès du roi en compagne aimante de l'homme d'État. Elle impose ses amis au roi ou s'acquiert la faveur des conseillers de la Couronne, qui voient en elle le moyen de s’assurer la bienveillance royale, tels Pierre de Brézé, Étienne Chevalier, Guillaume d'Estouteville, Guillaume Cousinot, Prigent VII de Coëtivy ou Jacques Cœur12. C’est grâce à ces manœuvres que le roi, en l'espace de quelques mois, lui octroie les fiefs de Beauté (d’où le surnom bien connu de « Dame de Beauté »), Vernon, Issoudun, Roquesezière et lui offre le domaine de Loches. Elle y fait aménager le château qui surplombe la ville.
Le dauphin, futur Louis XI, ne supporte pas la relation d’Agnès avec son père. Il estime que sa mère est bafouée et a de plus en plus de mal à l'accepter. Un jour il laisse éclater sa rancœur et poursuit, l’épée à la main, l’infortunée Agnès dans les pièces de la maison royale. Pour lui échapper, elle se réfugie dans le lit du roi. Charles VII, courroucé par tant d’impertinence, chasse son fils de la cour et l’envoie gouverner le Dauphiné.
Agnès porte les enfants du royal géniteur et accouche. Elle attend avec ses suivantes à Razilly près de Chinon, dans sa résidence de Loches (le logis Royal de Loches), à Beaulieu la ville voisine de Loches où elle s'installe au château ouvert de Courcelles (Loiret), à Dames près de Mehun-sur-Yèvre, le retour du guerrier ou du chasseur. Croyante, elle fait régulièrement des pèlerinages et des offrandes à l'Église, favorisant de manière généreuse les chanoines de Loches. Elle donne à son royal amant quatre filles, les « bâtardes de France » (puisque nées hors mariage), mais qu'il légitime et qu'il dote richement, par ordre de primogéniture13 :
- Marie de Valois qui épouse, en 1458, Olivier de Coëtivy, sire de Coëtivy et de Taillebourg et sénéchal de Guyenne ;
- Charlotte de Valois qui devient, en 1462, l’épouse de Jacques de Brézé, sénéchal de Normandie, et qui est assassinée par lui quelques années plus tard d'un coup d'épée entre les épaules pour avoir été surprise dans les bras de son amant à quelques pas du lit conjugal. Son fils, Louis de Brézé, épousera Diane de Poitiers ;
- Jeanne de Valois, née à Beauté-sur-Marne, que Louis XI marie à Antoine de Bueil, comte de Sancerre et chancelier du roi ;
- Une fille née le 3 février 1450 prématurément au manoir du Mesnil près de Jumièges en Normandie, morte en bas âge.
Ces naissances font écrire aux moralistes Thomas Basin et Jean Jouvenel des Ursins qu’Agnès est responsable du réveil sensuel de Charles VII. Ils jugent sévèrement sa liberté de mœurs et l’accusent de faire de ce roi « chaste » un roi débauché, entièrement soumis à ses maîtresses.
Notons que Charles VII fit d'Agnès Sorel la Dame de Beauté, après que celui-ci lui eut offert le Château de Beauté construit au cours du XIVe siècle à Nogent-sur-Marne (Val-de-Marne).
Sitôt installée par Charles au Manoir de la Vigne au Mesnil-sous-Jumièges près de Rouen, elle est soudainement prise d'un « flux de ventre » selon Jean Chartier, chroniqueur officiel de la cour, et meurt en quelques heures le 9 février 1450, non sans recommander son âme à Dieu et à la Vierge Marie. En donnant naissance à un enfant prématuré de sept mois, sa dernière fille, qui meurt quelques semaines après elleNote 6, celle qui fut la première maîtresse officielle d’un roi de France meurt à l'âge de vingt-huit ans, officiellement d'une infection puerpérale14. Elle a le temps de léguer ses biens à la collégiale de Loches pour que des messes y soient dites pour le repos de son âme, à l'abbaye de Jumièges où est déposé son cœur, ainsi qu'aux membres de sa famille et au roi à qui elle lègue ses bijoux.
Sa mort est si rapide qu'on soupçonne un empoisonnement. On accuse même Jacques Cœur, désigné comme exécuteur testamentaire, de l'avoir fait assassiner, mais il est lavé de ce chef d'inculpation. Les soupçons se portent alors, et jusqu'au XXIe siècle, sur le dauphin, futur Louis XI, ennemi du parti qu’elle soutenait15.
L'analyse des restes de son cadavreNote 7, à l'occasion de l'ultime déplacement de son gisant dans la collégiale Saint-Ours de Loches, programmé en juin 2004 pour des raisons muséographiques par le conseil général d'Indre-et-Loire, a révélé qu'elle était atteinte d'ascaridiose, son tube digestif étant infesté d’œufs d'ascaris, et qu'elle avait absorbé des sels de mercure, purge utilisée en association avec la fougère mâle pour bloquer la croissance des parasites16. C'est l'ingestion d'une dose excessiveNote 8 de ce métal lourd qui a entraîné la mort en moins de soixante-douze heures. Le mercure était alors administré sous forme liquide, dans des pilules de mie de pain pour prévenir les brûlures d'estomac. Cependant, la quantité de mercure détectée dans un poil de l'aisselle s'est révélée dix mille à cent mille fois supérieure à celle attendue de l'absorption de doses thérapeutiques, et il est difficile de croire à une erreur médicale. Le suicide ou l'empoisonnement de cette jeune mère vulnérable qui se relève de couches ne sont donc pas à écarter. Dans la seconde hypothèse, deux personnes de son entourage pourraient être soupçonnées : sa cousine germaine, Antoinette de Maignelais qui, trois mois après la mort d'Agnès Sorel, prenait sa place dans le lit du roi, et son médecin, Robert Poitevin, qui était aussi un de ses trois exécuteurs testamentaires